CHAPITRE V

Vaisseau-monde yuuzhan vong, orbite de Coruscant

Le villip regarda Viqi Shesh avec un visage humain. Un visage, dont l’expression suggérait la peur et la douleur.

— Je n’ai aucun secret à révéler. Je me contente de suivre Wolam Tser, j’enregistre ses observations et ses entretiens…

Viqi ronronna, espérant que les nuances et les tonalités de sa voix étaient correctement transmises. Sa voix excitait les hommes, ils la désiraient et l’idée que celui-là soit tourmenté par le désir l’amusait.

— Vous avez rencontré Danni Quee. Devenez son ami… son amant, si vous en êtes capable. Poussez-la à parler. Portez-vous volontaire quand vous avez du temps libre… Vous êtes un bon technicien, non ?

— Pas mauvais.

— Utilisez vos talents. Installez des enregistreurs et des transmetteurs. Iella Wessiri est assez intelligente pour les découvrir… aussi n’essayez pas de récolter des informations. Mettez les transmetteurs à des endroits choisis, afin que le soupçon tombe sur des membres de la structure de commandement… des gens auxquels Antilles ou Skywalker ne font pas encore tout à fait confiance. Générez la paranoïa. Vous comprenez ?

— Je comprends.

— Alors prouve-le, débile !

Viqi frotta le villip et la créature se contracta, coupant la communication.

Viqi soupira et s’étira. Pas encore guéri, son dos protesta, mais elle ignora la douleur. Le matériau organique lui servant de fauteuil suivait ses mouvements, elle se tourna pour faire face à son contrôleur.

Il était vêtu du pagne d’un guerrier, et tenait un bâton vong. Son nez était écrasé – une mutilation étrangement symétrique pour un Yuuzhan Vong – et une partie de sa lèvre supérieure droite avait disparu, révélant les dents. Sa peau était décorée de tatouages.

Sa caractéristique principale était une cicatrice unique dont la couleur variait de l’écarlate au brun. Elle commençait au sommet de son crâne chauve, descendait le long de sa joue droite et remontait de l’autre côté pour atteindre la pommette gauche. Puis elle continuait le long de son cou, sur sa poitrine avant de disparaître sous son harnais. Enfin elle émergeait sur sa cuisse droite, se terminant en cercle autour de son genou. Sans doute une de ses plus anciennes décorations.

Les tatouages, postérieurs, suivaient la cicatrice sans jamais la toucher.

Le Vong s’appelait Denua Ku et les opérations de renseignement le dépassaient. Il devait la surveiller, pas l’aider. Viqi lui adressa un sourire à la fois méprisant et moqueur.

— C’est fait, dit-elle.

— Vous allez maintenant retourner dans vos quartiers.

Le mépris perçait dans la voix du guerrier… même à travers le tizowyrm, un traducteur organique implanté dans l’oreille de Viqi.

— Mes quartiers ? Non merci. Je passe une demi-heure par jour à m’occuper de ce crétin et le reste de mon temps dans une chambre qui pue les tripes de Bantha mal cuites. Je veux qu’on me donne quelque chose à faire…

Denua Ku garda le silence, une réaction que Viqi jugea positive. Si les ordres avaient été de la garder prisonnière, le guerrier l’aurait immédiatement ramenée.

Mais il n’allait rien lui suggérer. A elle de trouver une idée.

Viqi n’obtiendrait jamais une affectation lui permettant d’approcher un vaisseau ou de s’initier au pilotage. Il lui fallait trouver une façon de se rendre dans les autres zones du vaisseau-monde, pour rencontrer d’autres Yuuzhan Vong ou certains de leurs prisonniers…

— Je veux apprendre comment poussent les coraux-skippers, dit-elle enfin. Les bâtiments, les armures. J’ai besoin d’améliorer mes compétences en prévision de la victoire totale des Yuuzhan Vong… Quand ils n’auront plus besoin d’une section des renseignements. (Denua Ku la regarda en silence.) Faites part de ma requête au maître de guerre. Je pense qu’il l’acceptera.

C’était l’heure des charognards. Celle où Tsavong Lah autorisait les visiteurs à lui adresser leurs requêtes. Le moment où il réglait les difficultés minables des inférieurs, de façon à ce qu’elles ne s’accumulent pas, comme de la charogne.

De la charogne. Tsavong Lah récusa ce mot importun, il lui rappelait trop son bras.

Le guerrier Denua Ku se présenta devant lui avec la requête de Viqi Shesh. Tsavong Lah l’autorisa. L’humaine continuerait ses manipulations, il le savait.

Qu’elle y gagne donc en plus un talent utile…

Ensuite vint Maal Lah, un de ses meilleurs conseillers militaires. Les traits de Maal Lah étaient réguliers, sa mâchoire intacte, mais son visage s’ornait de tourbillons rouges et bleus.

— Oui, mon serviteur ? demanda le maître de guerre.

— J’ai appris quelque chose d’étrange, répondit Maal Lah. La flotte infidèle qui a pris Borleias ne prépare pas sa retraite. Les guerriers survivants du Domaine Kraal rapportent que les utilisateurs d’outils creusent, comme s’ils se préparaient à un siège…

— Cela n’a aucun sens, soupira le maître de guerre. Ils ne peuvent pas tenir. Ni espérer que nous leur laisserons du répit. Envoyez la flotte de Wyrpuuk Cha les écraser. Le Domaine Kraal méprise le Domaine Cha. Avoir une dette envers lui sera une punition de plus pour ne pas avoir réussi à tenir Borleias.

— Oui, maître de guerre.

— Autre chose ?

— Non, maître de guerre, dit Maal Lah avant de se retirer.

Puis vint Takhaff Uul, un prêtre. Haut placé dans la hiérarchie de l’ordre de Yun-Yuuzhan, le grand dieu des Yuuzhan Vong, il était jeune pour son poste. A son âge, on n’avait en général pas dépassé le premier stade des serviteurs. Takhaff Uul, lui, était déjà un interprète respecté des volontés des dieux. Ses tatouages ne représentaient pas des dessins géométriques ni des exagérations de ses difformités, mais des yeux, des tentacules, de petites mains griffues, toutes réalistes, comme pour suggérer qu’il avait subi des dizaines de transplantations dans sa courte vie.

Il s’inclina devant le maître de guerre.

— Je t’écoute, dit Tsavong Lah.

Takhaff Uul se raidit.

— Je m’adresse à vous sans tenir compte de mon rang, déclara-t-il. Afin de porter les paroles directement à vos oreilles. Je suis prêt à mourir si elles vous déplaisent.

— Tu devrais toujours être prêt à mourir, répondit Tsavong Lah. N’essaye pas de prédire à quel moment tes paroles m’irriteront.

— Oui, maître de guerre.

— Exprime ta pensée.

— J’exprime uniquement la volonté de Yun-Yuuzhan. Mes visions de la nuit dernière m’ont conduit à penser à vous et à votre… maladie.

Tsavong Lah leva la main de sa pince radank et fit jouer les doigts. Avec, il pouvait briser la gorge, le cou et les vertèbres d’un guerrier yuuzhan vong… Si l’effort ne la détachait pas de son bras.

— Que dit le Dieu ?

— Que la guerre apporte beaucoup de plaisir dans le cœur de Yun-Yammka.

— Quel rapport avec mon bras ?

— Aucun propos direct n’a été prononcé, maître de guerre. J’ai senti – l’intuition d’un prêtre – que le Créateur se sentait privé de la gloire que vous recherchez. Il ne reçoit pas sa part. Il n’est pas content.

— Et comment puis-je corriger cette impression ?

— Un don, maître de guerre. Un don destiné à Yun-Yuuzhan et à lui seul. Un monde consacré au Créateur et à ses prêtres…

— Mais les prêtres de Yun-Yuuzhan ont des sanctuaires partout… Dans tous les domaines et toutes les colonies.

— Oui, maître de guerre. Mais qui peut comprendre la volonté d’un dieu ? Je dois essayer d’interpréter mes rêves et prier pour avoir raison…

— Je vais y réfléchir, dit Tsavong Lah.

D’un mouvement de sa pince radank, il congédia le jeune prêtre.

Puis Tsavong Lah fît un autre geste, que seuls les guerriers de sa garde personnelle comprenaient. Un soldat suivit Takhaff Uul jusqu’au portail de la salle. Quand le prêtre fut dans le couloir, il dit quelques mots à un autre garde, puis retourna s’asseoir derrière le fauteuil de son maître.

Tsavong Lah s’occupa de deux autres affaires. Puis le garde qui avait suivi Takhaff Uul revint et se présenta devant lui.

— Alors ?

— Il est allé dans les chambres de Ghithra Dal, le modeleur, dit le guerrier.

Tsavong Lah réfléchit un long moment. Ghithra Dal lui avait greffé sa pince radank.

Viqi Shesh avait peut-être raison.

Il le saurait.

Occupation de Borleias, neuvième jour

La flotte de Wyrpuuk Cha ralentit en pénétrant dans les limites extérieures du système de Pyria. Le soleil était visible à travers la coquille ambrée de la passerelle, mais Wyrpuuk Cha n’y prêtait aucune attention, se concentrant plutôt sur le nuage de scarabées éclairs flottant dans la dépression hémisphérique au fond de la salle.

Ces insectes, capables de faire du sur place et de briller ou de s’éteindre sur un ordre mental du yammosk de la flotte, s’étaient rassemblés pour former des images. Un amas sphérique représentait le soleil. D’autres sphères, plus petites, figuraient les planètes du système. Un nombre infini de mites brillantes d’une espèce sœur, dont on ne voyait que la lumière bleue, s’étaient alignées pour représenter le réseau de traces ioniques du système solaire qui indiquait les trajectoires récentes des vaisseaux métalliques de l’adversaire.

D’autres insectes flottaient seuls, ou par petites équipes irrégulières. Les groupes de vaisseaux ennemis. Leurs positions étaient transmises par voie de villip par les réfugiés yuuzhan vong restés sur Borleias ainsi qu’à travers les « sens » gravifiques du yammosk. Des informations étaient incomplètes. Les éléments de la flotte trop proches des puits gravifiques ne pouvaient pas être détectés, ni les vaisseaux situés à une trop grande distance ou au-delà du système solaire. L’ennemi dissimulait peut-être des centaines de navire. Il faudrait du temps et des sacrifices pour les découvrir et les anéantir.

Les Yuuzhan Vong avaient du temps à disposition, et des guerriers en grand nombre. La difficulté varierait selon les forces adverses et le talent de leurs commandants, mais Wyrpuuk Cha prendrait ce système.

Mais le ferait-il assez vite et de manière assez efficace pour contenter Tsavong Lah ? Cha ne pouvait pas se permettre de perdre trop de temps ou de dépenser trop de ressources. Il avait besoin de se dévoiler pour inviter son ennemi à l’attaquer, puis il l’étriperait une fois ses forces déployées et déséquilibrées.

Oui, il pouvait se permettre une feinte, peut-être deux…

— Ils n’ont pas rétabli les plates-formes de protection autour de la planète, dit Kadlah Cha, une analyste militaire.

Wyrpuuk Cha lui jeta un regard. Les tatouages faciaux de la femelle étaient étonnants, même pour une Yuuzhan Vong. Le noir autour des yeux et de la lèvre inférieure exagérait ses traits. Les décorations étaient copiées sur Cha, même si celles du commandant étaient accentuées par les cicatrices de guerre et une fente, au centre de sa lèvre supérieure, qui créait un bec de lièvre artificiel.

— Ce qui veut dire qu’ils ont placé un champ de mines et créé un bouclier avec leurs vaisseaux de métal…

— Non, commandant.

La femelle se dirigea vers la dépression où volaient les insectes et plongea les mains à l’intérieur, les poussant vers l’amas sphérique représentant Borleias. Les insectes se réunirent autour de la sphère, ajoutant des vaisseaux supplémentaires à la représentation.

— Vous voyez ? Les navires se situent sur une orbite géostationnaire, au-dessus d’un point de la planète peu distant de la zone de contact du Domaine Kraal. D’autres occupent des orbites plus typiques. Il n’y a rien d’autre… aucune défense. Les Kraals ne signalent pas de générateurs de champ de force au sol, à l’exception de ce site.

— Un point unique de défense, dit Wyrpuuk Cha, réfléchissant. (Il tendit la main et l’agita pour revenir à la résolution précédente.) Et regardez ici. Des allers et retours récents sur cette orbite, au-delà de la sixième planète… Une orbite correspondant à une des lunes. Et pourtant, aucune indication de vaisseaux… Une base cachée ? Ils ne protègent pas le monde primaire d’un largage de matériaux de transformation, ce qui veut dire qu’ils se moquent de cette planète… ils protègent seulement ce qui se trouve ici. Nous devons savoir ce qu’ils y cachent… là et sur cette lune.

L’alarme réveilla Wedge et Iella en sursaut. C’était un hurlement strident très différent de celui des systèmes installés dans les complexes militaires. Sans doute une alerte de risque biologique intégrée à l’équipement initial de la station.

Wedge chercha son comlink sur la table de nuit et réalisa qu’il sonnait déjà, rendu inaudible par l’alarme.

— Antilles…

— Une intrusion des Yuuzhan Vong, annonça l’officier des communications, son ton neutre contrastant avec l’importance du message. Des dizaines de grands vaisseaux envahissent le système dans l’axe de Coruscant. Aucun signe de lancement de coraux-skippers pour l’instant…

— Alerte générale ! J’arrive.

Wedge se leva, l’esprit clair et concentré sur sa tâche. Il commença à s’habiller. Iella avait déjà une combinaison d’avance sur lui.

— Quel est le plan ?

— C’est le jour des tactiques désastreuses. Nous allons laisser un trou dans la couverture de détection de la quatrième lune de Pyria et repousser tout ce qui approche de Borleias… Mais nous leur permettrons de nous chasser de cette lune. Je coordonnerai les actions à partir du sol. Les Vong s’en apercevront, ce qui renforcera l’impression qu’il y a quelque chose d’important ici.

Après l’avoir aidé à passer son uniforme, Iella lui donna un rapide baiser.

— Je déteste savoir que tu vas perdre, même si tu fais exprès.

— Pourquoi ?

— Parce que tu es mauvais perdant.

Wedge sourit méchamment.

— Je compte être très, très mauvais perdant.